Pour être à la hauteur de l’espérance qu’il a soulevée, le mouvement afro-asiatique lancé à la conférence de Bandoeng d’avril 1955 était tenu de porter un grand projet. Car « seuls de grands buts peuvent susciter de grandes énergies ». Reliant “l’événement et l’histoire”, Bennabi a examiné les possibilités de ce mouvement, sans perdre de vue les difficultés dues aux séquelles de la « colonisabilité » et aux menées néo-coloniales. Il prescrit à “l’indigénat afro-asiatique” une politique visant à “élever l’homme sous-développé au niveau de la civilisation, et l’homme civilisé au niveau de l’humanité”.
Pour les besoins de la “synthèse afro-asiatique”, il fallait une culture commune à des peuples désireux d’opposer sur « l’axe Tanger-Djakarta » une « politique d’existence » à la « politique de puissance » de « l’axe Washington-Moscou ». Les élites anti-colonialistes étaient invitées à s’élever au niveau de leurs responsabilités historiques pour passer de « l’héroïsme guerrier » à un « héroïsme social ». Faute de cette transformation, les nouveaux dirigeants risquaient de faire plus de mal à leurs peuples que le colonialisme lui-même. Bennabi voyait déjà qu’une telle élévation paraissait difficile si les classes politiques venaient à se contenter de « carriérisme » et de « partisme ».
Il fallait aussi éviter au “mépris des grands” de céder le pas à “la haine des petits”.
Le musulman, qui était soit « accusé », soit « accusateur », pourrait avoir d’autres choix s’il prenait en charge intellectuellement ses problèmes. Pour ce faire, Bennabi appelait à un “congrès musulman” qui évite les « méandres de la scolastique » et « les torrents apologétiques », pour mieux développer les “embryons sociologiques” du Coran et de la Sunna chers à Sir Muhammad Iqbal. La réunion de ces conditions lui semblait permettre aux pays pauvres-et appauvris par la « politique de puissance »- de « s’auto-désindigéniser », mais aussi d’aider à débarrasser l’Europe de la ” psychologie de la colonisation”.
Le livre de Bennabi sur la conférence de Bandoeng a été écrit selon une grande hauteur de vue, avec une exceptionnelle vigueur intellectuelle. Il était inspiré par un irénisme authentiquement musulman et « mondialiste ». L’auteur était convaincu aussi que « dans toute perversion, il y a des possibilités de rédemption». Ces traits ne peuvent qu’aider à voir plus clair dans la confusion ambiante et inspirer toute démarche tendant à sortir des impasses actuelles. La réédition d’un livre qui fut proposé pour « le prix de la zone de paix » permet aussi une meilleure connaissance de son œuvre. Cela servirait à prévenir les manipulations de son œuvre à des fins éloignées de la « politique de civilisation » et à résister à la désinformation d’islamo-politistes sécuritaires peu soucieux d’impartialité.
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